Mais est-ce que vous l'aviez dit, ça ?

Comme tout le monde, j'ai assisté à l'interview présidentielle sur France 2 par David Pujadas. Avez-vous eu comme moi  l'impression que l'échange avait quelque chose d'irréel ? Que les deux interlocuteurs donnaient l'impression de croire que les problèmes que vit aujourd'hui le pays se réduisent à un problème de... communication présidentielle ? 


Résumons rapidement. La croissance française en 2012 a été à peu près nulle. Le déficit public de 2012 a largement dépassé les bornes fixées par le traité de Maastricht, on s'oriente gentiment vers une performance du même ordre en 2013. Tout le monde autour de nous connait un copain, une copine, sinon plusieurs, que la situation affecte. Les prélèvements obligatoires, c'est officiel, ont fait baisser le pouvoir d'achat moyen des Français - de certains Français plus que d'autres, assurément, c'est le principe des moyennes, comme c'est aussi le principe de ce genre de conjoncture que de frapper durement les plus faibles. Il ne s'agit pas ici de discuter des mesures, de l'avenir ou du passé, mais de voir à quoi ressemble une interview présidentielle dans ce contexte.


je n'aimerais pas être Hollande à ce moment-là. Nul besoin d'un sparring partner violent pour que l'exercice se transforme en rodéo, les faits suffisent. Soit dit en passant, sans être d'une pugnacité de bronco sauvage, David Pujadas ne démérite pas, dans son genre. Nous ne sommes pas dans une République bananière, où le Président peut raconter ce qu'il veut. Son interlocuteur le surveille et le ramène à la réalité par des faits, par des chiffres. Ce qui m'a beaucoup surpris par contre, c'est la teneur de cette discussion, son objet. Un passage, particulièrement, celui où Pujadas reproche à Hollande à mots couverts de ne pas avoir détaillé au cours de la campagne électorale de 2012, l'ampleur des sacrifices qui attendaient les Français s'ils l'élisaient. 

"Mais est-ce que vous l'aviez dit, ça ?"

Là-dessus, le Président se récrie, "mais oui, bien sûr, d'ailleurs vous le savez bien, vous m'aviez suffisamment interrogé à ce moment-là". Gêne de son interviewer, visiblement gêné de cette marque publique de connivence. Pujadas renchérit "mais à l'époque vous aviez dit que vous alliez faire payer les riches". L'autre botte en touche; le Président ne peut pas lui répondre "Eh oui mais que vouliez-vous, que je fasse, que je dise votez pour moi je vais augmenter vos impôts ?".  Fin du petit duel.


Chacun peut faire l'arbitre et compter les points. De mon côté, je me demande bien ce que Pujadas a voulu obtenir par ce "Mais est-ce que vous l'aviez dit, ça ?". Soit on s'en tient littéralement au reproche, qui n'est pas infondé. Oui, Hollande a surtout parlé des riches. Il me semblait avoir compris que tout le monde serait de toute façon touché par ses objectifs de baisse des déficits et de relance de l'emploi public. Mais j'ai beaucoup suivi la campagne. Il se peut bien que, pour ceux qui ont suivi la campagne de très loin, Hollande ait pu passer pour un bolchevique.
Il se peut aussi que, pour ceux qui ont suivi la campagne de très très très loin, Hollande ait pu passer pour un sanglier, ou une poêle à frire. Donc Hollande n'aurait pas clairement dit aux Français que tout le monde paierait plus cher pour baisser les déficits. Et Pujadas le lui reproche. Soit. A la rigueur, je préfère ça.
Parce que j'ai eu sur le coup une seconde explication de l'interaction, que je trouvais beaucoup plus inquiétante. 
Il est bien entendu que l'interview de ce soir a été décidée d'un commun accord entre David Pujadas et sa rédaction d'une part, et l'Elysée d'autre part. Les uns, trop heureux de retrouver un Président qui choisit France 2 pour s'expliquer. Les autres, qui estiment qu'un passage à la télévision peut faire du bien à une côte de popularité en berne. Mais comment remonte-t-on une côte de popularité ? Par des mesures populaires ? Il n'y en a pas eu, ou si peu, l’État est à sec. Par une meilleure explication des tenants et aboutissants de la politique menée ? Voilà ! C'est là où je m'inquiète. 
Parce que lorsqu'on a en tête cette raison, qui a conduit le Président à s'exprimer ce soir. Que l'on a une petite idée, et c'est mon cas pour avoir rôdé dans les couloirs des débats télévisés, de l'atmosphère irréelle qui règne dans l'entourage des personnes de pouvoir. Que l'on a une petite idée de la confiance immodérée qu'entretient ce petit monde avec les outils de la communication politique, et notamment le grand oral. Alors on peut imaginer comme je l'ai fait un moment, que ce "Mais est-ce que vous l'aviez dit, ça ?" de David Pujadas à propos des hausses d'impôts décidées par le gouvernement Ayrault avait pour principale finalité de déclencher l'explication présidentielle. De faire s'expliquer Hollande. Et d'un coup d'explication, hop, les Français se sentiraient mieux. Apaisement. On respire. Ah ben oui, en fait c'est important qu'on paye, c'est vrai. Ah ben d'accord.
S'il y avait bien cela derrière l'échange Pujadas-Hollande (et je crois bien, au final, qu'il y avait de cela), alors je suis moins que rassuré pour l'avenir : car, sans nier que la parole politique puisse donner du sens aux problèmes que vivent une population, j'ai l'impression en regardant autour de moi que le problème, si nos dirigeants décident de le traiter par la parole, exige un peu plus qu'un aveu.

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